
C’est avec consternation et sidération que la Fédération Prisme a découvert ce lundi 8 décembre 2025 dans La Libre la carte blanche intitulée “Dysphorie de genre : trois jeunes vies brisées en trois semaines”.
Bien que ce ne soit pas la première fois que le journal La Libre accepte de publier une carte blanche de ce collectif (dont on taira le nom pour ne pas lui faire de la publicité), il nous semblait particulièrement important de réagir cette fois-ci, au vu du niveau de désinformation de ce texte. Sur fond de jargon médico-psychologique, cette tribune, en utilisant des analogies douteuses et des propos infondés, transforme la hausse du nombre de jeune personnes trans* en une supposée contagion sociétale. De ce fait, il participe à la désinformation autour des transitions de genre et s’inscrit dans un discours conservateur et réactionnaire. Il était donc nécessaire de réagir rapidement à ses plus importantes incohérences, et d’alerter sur la diffusion d’informations manifestement fausses.
La carte blanche s’ouvre sur une analogie entre les transitions de genre et la vague d’anorexie qui a touché de nombreux·ses adolescent·es durant les dernières décennies. Si les troubles compulsifs alimentaires (TCA) tels que l’anorexie et la boulimie ont pu être glorifiés durant les années 1990 et 2000 (particulièrement dans les magazines et à la télévision avec une surreprésentation de mannequins et de stars qui ne dépassaient pas la taille 34), les TCA sont aujourd’hui reconnus comme de véritables maladies ayant un impact très grave (rappelons que plus de la moitié des adultes concerné.e.s ne s’en remettent jamais)2.
À l’inverse, la transidentité, a été retirée des maladies mentales par l’OMS en 2019. Dans ce cadre, créer une analogie entre l’anorexie et la transidentité revient à repathologiser sciemment les transidentités tout en créant un cadre de comparaison complètement faux historiquement et médicalement parlant.
Par ailleurs, s’il n’existe à l’heure actuelle aucun traitement médical à l’anorexie (ni opération, ni médicament) qui pourrait soulager de façon pérenne les personnes concernées en stabilisant leur santé mentale ; les traitements d’affirmation de genre – qu’ils soient hormonaux ou chirurgicaux – ont pour objectif de soulager la personne qui les reçoit. Et, pour la grande majorité (on parle ici de plus de 95% des cas !6), cela fonctionne.
Ainsi, plutôt que de comparer l'augmentation du nombre de personnes trans* avec les chiffres sur l’anorexie à la fin des années 1990, il nous semblerait plus judicieux de la comparer avec l’augmentation de la population gauchère. De fait, lorsque les normes sociales ont évolué et que les pratiques pour empêcher les enfants d’utiliser leur main gauche ont cessé, le pourcentage de gaucher.e.s dans la population a sensiblement augmenté, avant d’atteindre un plateau. Il en va de même avec les personnes trans* : à mesure que les normes sociales évoluent, que leurs existences deviennent socialement mieux acceptées, que plus de représentations et de ressources sont disponibles et accessibles, les personnes trans* (qui par ailleurs ont toujours existé dans l’histoire de l’humanité1) vont plus facilement s’affirmer comme telles et par conséquent, le nombre d’entre elles qui sont visibles augmente.
Ce cadre contextuel posé, l’instrumentalisation du décès de trois jeunes personnes trans* nous est particulièrement insupportable. Outre le mégenrage systématique (si le bien-être mental de ces personnes intéresse tant les autrices, ne pourraient-elles pas, à minima, respecter les pronoms délibérément choisis par les personnes concernées ?), il est important de souligner que de nombreuses informations données sont simplement fausses. Ainsi, Nathan, emblème de cette carte blanche, a demandé un recours à l’euthanasie en 2013, il y a 12 ans donc, et non pas cet été, comme le prétend le texte.
Selon la Fédération Prisme, publier ce texte, en instrumentalisant les morts de Nathan, Aero et Teo, quelques jours après le TDOR (la journée du souvenir trans) témoigne d’une méconnaissance totale des raisons du décès de ces jeunes. Cela revient, entre autres, à ne pas tenir compte de la santé mentale des personnes trans* qui, comme l’indique la dernière étude de l’IEFH, est mise à mal, notamment par la transphobie ambiante, le rejet familial, la précarité financière, la crainte de la régression de leurs droits, etc5
Nous sommes donc très loin de la contagion par les pair·es et les médias que décrit l’article et d’un discours social encourageant aux transitions, surtout quand nous savons que les adolescent·es trans* subissent davantage de harcèlement scolaire et en ligne.
Enfin, la cerise sur cet énorme gâteau de la désinformation est sans aucun doute l’étude de Littman sur laquelle s’appuie l’article. Cette prétendue étude scientifique est parue en 2018, et a été depuis largement contestée et démontée notamment pour sa méthodologie totalement biaisée. Le journal a publié une version corrigée de l’article, et son rédacteur en chef s’est excusé « auprès de la communauté transgenre et variant de genre » pour l'examen et la publication précédents, affirmant que “l'étude, y compris ses objectifs, sa méthodologie et ses conclusions, n'était pas correctement encadrée dans la version publiée, et que ceux-ci devaient être corrigés”4. Sans aucun fondement scientifique solide, l’étude s’intéressait au phénomène de « dysphorie de genre d’apparence rapide » s’appuyant uniquement sur les dires de parents qui croyaient déjà à ce phénomène, sur des sites web ouvertement transphobes et, surtout, sans interroger aucune personne trans (jeune ou adulte) ni médecin suivant effectivement des jeunes personnes trans.
Nous reviendrons dans un prochain communiqué plus en détails sur la santé mentale et la prise en charge des personnes trans*, en attendant, la Fédération Prisme demande aux médias demande aux médias de ne plus diffuser de cartes blanches mensongères et infondées, qui participent à la désinformation autour de communautés déjà marginalisées. Les rédactions ont, elles aussi, leur responsabilité dans leur choix de publications.
À notre tour, poussons un cri d’alarme !
Bibliographie :
1. Blakemore, E. (2022, 29 juin). Le terme « transgenre » n’est apparu que dans les années 1960, mais les personnes qu’il représente ont toujours existé malgré les tentatives de les effacer de l’Histoire. Aujourd’hui, le combat pour leur reconnaissance continue et n’a jamais été aussi fort. National Geographic.
https://www.nationalgeographic.fr/histoire/quand-les-historiens-documentent-la-vie-des-personnes-transgenres
2. Eddy, K. T., Tabri, N., et al. (2017). Recovery From Anorexia Nervosa and Bulimia Nervosa at 22-Year Follow-Up. The Journal of Clinical Psychiatry, 2017/2 (vol. 78), pp. 184–189.
https://doi.org/10.4088/JCP.15m10393
3. Fédération Prisme. (2025). Dossier de recommandations pour des politiques plus justes et égalitaires pour les personnes trans. Fédération Prisme.
https://cdn.prod.website-files.com/6229f89b6c3a3c2afafbc3d8/67f61936046ff17cc9fd41ac_Prisme_RecommandationsPolitique_dossier%20trans.pdf
4. Heber, J. (2024, 25 Novembre). Correcting the scientific record on gender incongruence – and an apology. EveryONE.
https://everyone.plos.org/2019/03/19/correcting-the-scientific-record-and-an-apology/
5. Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. (2025). Être une personne transgenre ou non binaire en Belgique.
https://igvm-iefh.belgium.be/fr/documentation/etre-une-personne-transgenre-ou-non-binaire-en-belgique
6. Tordoff, D. M., Wanta, J. W., Collin, A., Stepney, C., Inwards-Breland, D. J., & Ahrens, K. (2022). Mental Health Outcomes in Transgender and Nonbinary Youths Receiving Gender-Affirming Care. JAMA Network Open, 5(2), e220978.
https://doi.org/10.1001/jamanetworkopen.2022.0978