26 avril : journée internationale de la visibilité lesbienne

À celles qui nous ont donné envie d’exister.

À l’occasion de la Journée internationale de la visibilité lesbienne, nous partageons les lettres que vous nous avez confiées lors de notre appel à témoins. Des mots d’amour, de rage ou de gratitude. Des souvenirs vivants. Des lettres adressées à celles qui ont compté : une amie, une ex, une prof, une artiste, une héroïne queer, une inconnue dans un bar, une communauté. Celles qui ont ouvert la voie, tendu la main, allumé une lumière dans l’ombre.

Parce que nos fiertés ne naissent pas seules. Elles se construisent dans les regards échangés, dans les récits transmis, dans les luttes menées avant nous.

Parce que dire “je suis là”, “je suis fièr·e”, “j’aime” reste un acte politique.

Ces lettres sont des fragments de mémoire, de résistance et d’amour.

Elles célèbrent les héritages intimes et les solidarités visibles ou discrètes qui nous ont permis de tenir, de nous relever, d’exister pleinement.

À ce forum, quelque part sur internet

Je ne me rappelle pas du pseudo que j’utilisais. Peut-être "Soleil89" ou "RaniaBxl", je sais plus. Mais je me souviens de la chaleur.

J’avais 14 ans, un ordi portable prêté en cachette, et j’écrivais la nuit, dans le noir, les mains tremblantes. C’était un forum lesbien, pas très joli, tout en violet criard, avec des gifs qui clignotaient. Mais c’était un refuge. Mon premier vrai refuge.

C’est là que j’ai lu que je n’étais pas "dérangée", ni "possédée", ni "égoïste". Que d’autres filles, arabes, croyantes, paumées, savaient ce que je vivais.

Un jour, quelqu’une a écrit : “T’as le droit d’exister entière. Pas à moitié, pas cachée.” Je l’ai notée sur un post-it. Il est resté collé 6 ans dans mon tiroir, jusqu’à ce que j’ose sortir du placard, au moins à moi-même.

Aujourd’hui, j’ai 29 ans. Je suis toujours pas out dans ma famille, mais j’ai construit autour de moi un cercle où j’existe vraiment. Une famille choisie. Et je fais en sorte d’être, pour d’autres, ce que vous avez été pour moi : une réponse dans la nuit.

Alors à vous, toutes, qui répondiez à mes messages maladroits à 2h du matin : merci. Vous m’avez tenue debout, sans même savoir mon prénom.

Rania, 29 ans, Province de Liège.

À Madame P., ma prof de français

Je me souviens encore de la première fois où vous avez dit le mot "lesbienne" en classe, sans chuchoter, sans rire, sans vous excuser.

On lisait un texte d’une autrice féministe, je crois, mais c’est pas ça qui m’a marquée. C’est que vous l’avez dit comme on dit "pluie" ou "chemin" : avec une simplicité désarmante. Et je vous ai regardée, bouche entrouverte, comme si vous veniez d’ouvrir une trappe dans le plafond.

J’avais 16 ans. Je n'avais pas encore de mots pour ce que je ressentais. Juste ce mal-être diffus, cette peur d’être découverte, démasquée. Et cette solitude immense, que même mes amies ne devinaient pas. Chez moi, on ne parlait pas de ça. On priait, on se taisait, on espérait que ça passe.

Mais vous, ce jour-là, vous avez dit que "les identités n’avaient pas à se cacher". Vous avez dit que "la honte ne nous appartient pas". Et je vous jure, même si vous regardiez l’ensemble de la classe, j’ai cru que vous me parliez à moi.

Je ne vous ai jamais remerciée. À l’époque, j’aurais eu trop peur que vous compreniez. Mais aujourd’hui, je veux que vous sachiez : c’est vous qui m’avez donné envie d’exister autrement.

Je suis une femme lesbienne, posée, peut-être un peu plan-plan, mais fière. Et quelque part, je vous dois une part de cette fierté.

Merci d’avoir semé, sans le savoir, une petite graine dans le cœur d’une ado perdue.

Camille, 42 ans, Couvin

À toi, C.

J’te déteste un peu, tu sais. Façon de parler. J’te dois trop.

T’as été ma première. Ma première fois, mes premières larmes, mon premier “je suis lesbienne” dit à voix haute. T’étais pas douce, pas tendre. Mais t’étais vraie. Brute. T’étais là.

Quand tu m’as regardée comme si j’étais belle alors que j’avais le nez qui coulait et le cœur en charpie, j’ai compris que je valais peut-être un peu plus que ce que je croyais.

Et puis t’es partie. Enfin, non, j’suis partie. On s’est explosées, comme les trucs qui brûlent trop vite. Mais ça m’a changée.

Aujourd’hui, je suis une autre. Je me cache plus. Je marche tête haute. Et chaque fois qu’une fille me sourit, je pense à toi. À ce que tu m’as appris sur l’amour, la peur, la rage d’être soi.

T’étais pas la bonne. Mais t’as été la première à me voir.

Et rien que pour ça, merci.

Adèle, 24 ans, Arlon

À toi, Maman

Tu ne m’as jamais dit “je t’aime” comme ça, franchement. T’es pas faite pour les grands mots.
Mais je t’ai vue, quand même. Je t’ai vue ranger la photo de moi et de ma femme sur le buffet quand ta famille passait à la maison. Je t’ai vue hésiter à m’embrasser devant les voisins. Je t’ai vue dire “sa… sa colocataire” en cherchant tes mots.

Et je t’en ai voulu, souvent. Je me suis sentie comme un secret dont on avait honte.

Mais y a eu cette fois, tu te souviens ? Où tu m’as apporté un gâteau au chocolat “parce que c’est l’anniversaire de ton couple aussi, non ?”
Tu ne m’as pas regardée quand tu l’as dit. Mais j’ai senti. Que tu essayais. Que c’était ta manière.

Alors voilà. Je t’écris cette lettre parce que je suis fatiguée de faire semblant de ne pas voir.
Oui, je suis lesbienne. Oui, je suis heureuse. Oui, je t’en ai voulu. Mais je sais que tu fais ce que tu peux avec les mots que t’as jamais appris.

Et tu sais quoi ? C’est déjà beaucoup.

Sarah, 44 ans, Jemappes

À Violette Leduc

Je vous ai lue à 59 ans.

Oui, il m’en a fallu du temps. Trois enfants, un mari, une maison bien rangée… et ce vide qui me traversait, sans que je sache le nommer.

Je suis tombée sur Thérèse et Isabelle à la bibliothèque municipale. Le livre était vieux, jauni, un peu gondolé comme s’il avait pleuré aussi. J’ai tourné les pages, d’abord par curiosité, puis parce qu’il m’était devenu impossible de m’arrêter. Vous écriviez l’amour entre femmes avec une intensité qui m’a secouée de l’intérieur. Ce n’était pas juste beau, c’était vrai. Troublant, brut, impudique, et pourtant tendre.

Et moi, je lisais en apnée. C’est vous qui m’avez donné l’élan de me regarder enfin en face. D’accepter que ce que je désirais n’était pas une erreur de parcours, mais un chemin possible.

Un an plus tard, j’ai rencontré Sophie dans un atelier d’écriture. Deux femmes cabossées, un peu prudentes, qui ont fini par se dire oui du bout des lèvres, puis du fond du ventre.

Aujourd’hui, j’ai 66 ans. Je vis avec elle. On se tient la main dans la rue. On rit de nos douleurs passées. Et parfois, je relis quelques lignes de vous, juste pour me souvenir d’où je viens.

Merci, Violette. Vous ne saurez jamais que vous m’avez rendue à moi-même. Mais moi, je le sais.

Monique, 66 ans, La Louvière

À toi, Claire

T’étais là. C’est tout. T’étais là quand j’ai dit, la voix tremblante : “Je crois que j’aime les femmes.” Et t’as pas cligné des yeux. T’as pas demandé pourquoi. T’as pas eu l’air surprise.

T’as juste dit : “Ok. Tu veux une glace ou un thé ?”

Je sais pas si tu réalises à quel point ça m’a tenue debout, cette non-réaction. Dans un monde qui me hurlait que j’étais “trop” ou “pas assez”, toi, t’as simplement laissé de la place. De l’espace pour que je respire.

Y a eu des années de confusion, un mariage, un divorce, une petite fille qui me regarde aujourd’hui comme si j’étais la lune. Mais chaque étape, je l’ai franchie en sachant qu’au moins une personne ne me jugerait jamais.

Tu ne m’as jamais dit “je suis fière de toi”. Mais tu me l’as montré. Dans tes silences, dans ton humour à la con, dans cette fois où tu m’as envoyée chier parce que je parlais mal de moi-même.

C’est fou comme une amitié peut sauver des vies sans en avoir l’air.

Merci d’avoir été mon refuge, sans jamais me le faire payer.

Nora, 36 ans, Virton

Au Tabasco Club, Firenze

Tu étais une cave aux murs moites, un peu sombre, avec un bar bancal et des miroirs qui reflétaient nos désirs mieux que nos visages.

C’était Florence, 1993. J’avais 21 ans, un sac en bandoulière, les mains dans les poches pour cacher mes tremblements. Et toi, Tabasco, tu m’as accueillie sans rien demander.

C’est là que j’ai dansé avec une fille qui sentait la menthe et le tabac. C’est là que j’ai entendu des mots que je n’aurais pas osé prononcer à voix haute. C’est là que j’ai compris que je n’étais pas une erreur.

Tu n’étais pas un simple bar. Tu étais un rite de passage. Une faille dans le réel où tout devenait possible. On riait fort, on avait des coupes de cheveux improbables, et on se touchait comme si c’était la première fois qu’on respirait.

Aujourd’hui je vis à Tournai, ma vie est plus calme, plus militante d’une autre manière. Je suis mariée à une femme douce comme un dimanche. Mais dans mon cœur, il y a toujours une part de moi qui danse sous les stroboscopes du Tabasco.

Tu m’as donné mes premières permissions. Celle d’aimer. Celle d’exister. Celle d’être vue.

Merci pour la lumière dans cette cave.

Giulia, 52 ans, Tournai

A cette amie... J’avais 16 ans.

C’était le nouvel an 2015. À minuit, on s’est embrassées pour se souhaiter bonne année. Un baiser entre amies, en apparence. Mais à l’intérieur de moi, c’était le chaos. Feu d’artifice dans le ventre, jambes en coton, cœur qui tambourine comme jamais. Un de ces instants qu’on sent déjà inoubliables, même pendant qu’ils se vivent.
Je me suis rendu compte que j’étais follement amoureuse de ma meilleure amie.
On ne mettait pas de mots sur ce qu’on vivait. C’était flou, intense, un peu hors du temps. On se voyait souvent. Dès qu’on se quittait, j’avais cette sensation bizarre qu’un morceau de moi restait avec elle. On s’embrassait parfois, le soir, en cachette. On se frôlait un peu trop longtemps. On riait pour rien. On se comprenait vite. Une amitié fusionnelle, oui. Mais au fond, c’était surtout de l’amour. Un amour qu’on ne savait pas nommer, pas encore.
Grâce à elle, j’ai compris que j’aimais les filles. C’est par elle que c’est arrivé. Doucement. Intensément. À la façon des premiers émois, quand tout est décuplé. Elle m’a offert ça sans le savoir : cette porte entrouverte sur moi-même, sur un désir que je n’osais pas regarder en face.
On s’aimait, c’est sûr. Moi, j’y croyais à fond. J’ai quitté mon copain pour lui prouver que je voulais être avec elle. Que c’était elle, pas une autre. J’aurais voulu crier sur tous les toits que j’étais amoureuse d’une fille. Que j’étais fière. Prête à aimer au grand jour. Mais elle, elle n’était pas prête. Et quand tout ça est devenu trop lourd à porter toute seule, on s’est éloignées. J’ai eu le cœur en miettes. J’ai cru que je n’allais jamais m’en remettre. Mais au fond, cette douleur m’a aussi réveillée. J’ai compris qu’il était temps d’arrêter de me mentir. De cesser de vouloir rentrer dans un moule qui n’était pas fait pour moi. J’ai décidé de vivre pleinement qui j’étais.
Les années ont passé. Et puis un jour, on s’est revues. Un peu par hasard. Un verre, une conversation sans filtre. Le cœur un peu plus solide, un peu plus doux. Elle a parlé, beaucoup. Et on s’est enfin avoué ce qu’on avait toujours su : qu’on s’aimait. Qu’on avait été quelque chose, même si on ne l’avait jamais osé pleinement.

Aujourd’hui, on est amies. Complices encore. Et on le sait maintenant, sans amertume ni regret : on restera, l’une pour l’autre, un grand amour. Pas celui qui dure. Mais celui qui marque. Celui qui façonne.

Elle m’a donné envie d’exister telle que je suis.
Et rien que pour ça, merci.

Maurine, 26 ans, Liège.

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