Il y a ce qui s’écrit partout. Et ce qui ne s’écrit jamais.
Pour la Journée de la visibilité bisexuelle, nous avons choisi de changer de focale. Sortir des cases, des récits attendus, des témoignages formatés. Et ouvrir un espace à celles et ceux qu’on écoute trop peu, trop vite, ou à côté.
Nous avons reçu des textes. Des vrais. Pas des confessions, mais des fragments. Pas des explications, mais des vécus. Pas un “coming out”, mais un contre-champ. Ils parlent de désir, de silence, d’attente, de colère douce. De trop. De pas assez. De ce qu’on tait souvent, même à soi.
Et aujourd’hui, nous les publions. Pour faire place. Pas pour représenter, mais pour faire résonner.
Bi-ographie(s) commence ici.
Merci aux personnes qui ont écrit. Et à celles qui liront sans détour.
Je suis le B dans l'alphabet des identités. Je le sais depuis l'enfance, quand je tombais amoureuse d'une camarade de maternelle, de "Basile, Détective privé" et de Jasmine d'Aladdin.
Je l'ai pleinement conscientisé à mes quinze ans sonnés, submergée d'hormones et de tous mes drames. J'admire des corps et des visages d'hommes et de femmes. Leur âme me séduit. Dans trois ans, j'aurai quarante ans. J'aurais aimé que la société m'apprenne que je pouvais choisir l'humain indépendamment de son genre plutôt que de me gaver des codes éventés de la séduction homme-femme. Le bi-lan est doux-amer.
Au creux de ma poitrine, mon cœur bat pour toutes ces femmes à qui je n'ai jamais osé dire "tu me plais, je pourrais t'aimer". Je suis bi-rêveuse, bi-frustrée, entre deux âges, entre deux eaux, entre deux chaises. Ma mère avait une expression métaphorique pour parler des amours sans genre d'attache, naviguant entre les rivages de l'identité : "À voile et à vapeur". Les mots sont vieillis, mais je les aime bien. C'était la première fois que j'entendais, de la bouche d'une grande personne, une reconnaissance de mon existence. À ce jour, je n'aspire qu'à larguer les amarres de l'amour sans détour et sans contours pour flotter librement de dérive en rive.
Mauve
Je lui montre cet article de Libé. L’invisibilisation des bisexuel.les dans la recherche, dans les représentations collectives, mais aussi dans les mouvements historiques pour les droits des minorités sexuelles (perçu.es comme facteur de fragilisation des luttes gays et lesbiennes), la pas si rare biphobie intracommunautaire, et ces fameux stéréotypes dont je n'avais pas vraiment conscience tellement on en parle peu et ça m’anime: “instables, menteurs, traîtres, volages, séducteurs, duplices” (bizarre écho avec le “menteur, voleur, tricheur” que mon ex me collait, mi-humour, mi-rancune).
Elle embraye direct. Au premier rendez-vous elle a demandé à son amoureuse si elle n'était pas biphobe. Je croyais qu'elle était lesbienne, je trouve ça génial qu’ouvrir le sujet aie cet effet. Moi souvent ça arrive à partir de l'équation “je suis en couple avec un homme + j'ai un fils”. Puis son coming-out pan auprès de sa mère: - “Pansexuel comme “paon”?” - “Ha ha, non (j'aurais bien aimé), comme “pan”, pan! Tout.”
Après avoir annoncé que j'avais un amoureux, mon père a tenu à préciser: “tu sais, tu as dit ça comme une évidence, mais j'étais un peu surpris quand même”. Plus tard la mère de mon fils a tenu à corriger: “t’es pas gay, t'es bi!” (je n'ai pas pu l’entendre à ce moment-là, j'avais besoin d’être gay). Et ma tante: - “un ami qui est comme Guillaume” - “Comme Guillaume?” - “Homo” - “Je suis bi” - “Oui, enfin, bi, c'est pas un peu une mode ?”. Et aussi mon cousin-carabin qui en a gros sur le cœur de me rappeler les mots de sa mère: “ça se soigne, tu sais” (complètement refoulés). Et bien avant, un collègue: “ton couple avec ta copine et votre bébé, je suis sûr que c'est une couverture”.
Je retourne mon badge couleurs bi dans tous les sens. Où est-il écrit “chouineur”?
Texte et dessin par Guillaume D.
Je les aime lui, elle et ellui,
En même temps, à la même intensité.
Je les aime lui, elle et ellui,
Mais tu ne peux pas me regarder.
Ce n'est pas que je ne fais pas de différence,
Mais j'apprécie chacun et chacune à leur manière,
Et je préférerais le silence de ton indifférence
À ta haine qui vocifère.
Je suis bi et polyA,
Parait que je ne sais pas faire des choix,
Et pourtant c'est bien elleux que je veux,
Elleux qui font briller mes yeux.
J'aime sentir leurs doigts sur ma peau,
Leurs mains parcourir mon dos,
Et leurs lèvres sur les miennes,
Quoi qu'il advienne.
Et si ton dégoût me poursuit,
Elleux me rendent plus forte,
Car leur amour me porte
Chaque jour que je passe avec lui, elle ou ellui.
Mathilde
J’ai l’impression d’être invisible même quand je parle fort.
Dans les soirées queer, je suis suspect : trop hétéro.
Dans les soirées hétéros, je suis suspect : trop queer.
Alors j’apprends à jouer les caméléons. À choisir mes mots comme on choisit une tenue : selon le décor.
Mais il y a une fatigue qui s’accumule.
Un poids d’être jamais “assez”.
Aujourd’hui, je n’ai plus envie de convaincre.
Je préfère écrire. Écrire ce qui manque.
Et peut-être qu’en lisant ces lignes, quelqu’un reconnaîtra enfin que je suis là, entier, debout, avec mes désirs multiples.
Julien
Je me suis senti·e de trop dans chaque lit.
Avec elle, j’étais trop masculin. Avec lui, trop féminin. Avec les deux, trop indéfini.
J’ai appris à me tenir au bord, jamais au centre.
À aimer en silence, à sourire quand on me dit “ah, toi, tu ne sais pas ce que tu veux”.
Mais au fond, si.
Je veux tout.
Et je ne m’excuserai plus d’être vaste.
Noah
J’ai déjà entendu : “ah mais toi, c’est juste que tu n’as pas encore choisi”.
Comme si j’étais coincé·e dans un entre-deux, une salle d’attente du désir.
Alors que moi, je sais très bien.
J’ai joui avec des hommes, j’ai tremblé avec des femmes, j’ai été bouleversé·e par quelqu’un qui refusait qu’on l’appelle par un genre.
Et chaque fois, c’était vrai. Ce n’était pas une répétition générale.
Je suis fatigué·e qu’on me demande de justifier ma place, comme si j’étais en fraude dans la maison des identités.
Je suis bi. Pas moitié. Pas phase. Pas confusion.
Entier·e. Et ça vous dérange. Tant mieux.
Louise