
Aujourd’hui, 17 mai, Journée internationale de lutte contre les LGBTQIA+phobies.
Cette année, on a choisi de ne pas faire de slogans. Pas de formule creuse. Pas d’autocélébration. On a tendu l’oreille.
On a demandé : Que veut dire “tenir”, aujourd’hui, quand on est LGBTQIA+ dans ce climat ? Qu’est-ce qui nous aide à rester debout ? Et qu’aimerait-on dire à celles et ceux qui, comme nous, essaient de tenir ?
Les réponses sont là. D’un seul bloc. Brèves, intimes, politiques. Des fragments de réel, rassemblés dans une même volonté : rester là, encore. Merci à toutes celles et ceux qui ont pris la parole. Merci pour la force, les silences, la lucidité, la tendresse.
Je tiens encore parce que...
Je tiens pour toutes les personnes qui elles, ont décidées de baisser les bras, pas par manque de motivation, mais parce que les discriminations subies à répétition pourraient vous faire croire que c’est ça le monde dans lequel vous devez vivre.
Je reste debout pour mes enfants, pour les enfants des autres, qui peuvent faire en sorte que notre futur soit plus inclusif que notre présent. (Un geste, une personne, un souvenir, une conviction, un lieu, une habitude…)
Vous n’êtes pas seul.es. Nous ne sommes pas une majorité, comme ils disent. Nous sommes une minorité qui a de la gueule et qui compte bien s’en servir ensemble !
Céline, Province du Luxembourg
Pour moi, tenir, c’est d’abord ne pas perdre espoir. L’espoir en un avenir meilleur, l’espoir en un présent plus doux aussi, au hasard d’une rencontre qui donne le sourire ou d’un acte militant qui crie au monde qu’on est là, on l’a toujours été et on le sera toujours.
Tenir, ça veut aussi dire ne pas lâcher. Ne pas lâcher la main des autres à nos côtés, ne pas se lâcher nous-mêmes non plus, même si c’est tentant… faire le choix de la facilité, c’est faciliter notre perte. Tenir, pour moi, ça veut dire faire de son mieux, faire son maximum, même si ce n’est pas grand-chose, les pas grand-chose de tellement de personnes ont déjà changé tellement de vies au cours de l’histoire. Tenir, c’est contribuer à l’histoire et la diriger, un peu plus, vers l’avenir qu’on souhaiterait voir naître à l’horizon. Tenir, c’est survivre, c’est continuer d’être en vie, tenir c’est vivre.
Ce qui me maintient debout, c’est de voir que l’indignation est toujours là pour répondre aux propos et aux actes abjects qui se multiplient dans le monde. Des personnes au courage immense continuent de lutter et de porter leurs voix contre la violence, l’injustice et les discriminations qui prennent du terrain. Tant qu’il y aura des gens pour se soulever, tant qu’il y aura encore une personne pour s’indigner, je garderai espoir. Je reste debout parce que je vois, j’entends, je lis tant qu’autres personnes qui restent debout également, iels sont à mes côtés et je suis aux leurs, même anonyme, même à l’autre bout du monde. Je ne peux pas tomber quand une foule d’alliés m’entoure et me soutient, et je ne veux pas les laisser tomber non plus.
Syd, Province de Liège
J’ai l’impression d’avoir milité toute ma vie pour qu’on en arrive là. C’est pas du désespoir, c’est du dégoût.
Quand j’étais jeune, on espérait. On avançait, lentement mais on avançait. Là j’ai l’impression qu’on recule et qu’on doit encore dire merci.
J’ai des potes qui ont raccroché. Moi je fais plus les manifs, j’ai plus les jambes. Mais je continue à filer des coups de main, à corriger des tracts, à prêter ma voix quand il faut.
On ne nous effacera pas comme ça. Même à bout, on est là. Et ce n’est pas rien.
Sarah, Tournai
J’ai peur, voilà. Pas peur comme dans un film. Peur comme dans : je réfléchis à ce que je dirai au poste si un jour on m’embarque.
Tu crois que j’exagère ? Regarde ce qui se passe autour. Regarde les lois passées ailleurs. Regarde les votes ici.
On n’est pas parano. On est lucides.
Je tiens parce que j’ai un groupe. Parce qu’on se serre, on se retrouve dans des caves pour organiser des lectures, des moments de soin collectif. Parce qu’on tisse des fils résistants avec du rien.
La tendresse, c’est notre barricade.
Niels, Bruxelles
Tenir bon. Deux mots, qui semblent être temporaires : tu tiens bon, parce qu'il pleut et que tu as oublié ton parapluie. Tu tiens bon, parce qu'il te reste deux examens. Moi, ça fait 31 ans que je tiens bon.
Le monde attend de moi que je sois une personne différente. J'ai grandi avec ce constat et, quelque part, ça façonne. Mal. Avec des fissures. J'ai grandi sans comprendre pourquoi le monde rejetait violemment l'amour entre deux hommes, si bien que j'ai moi-même refoulé ça bien loin jusqu'à ce que ça m'éclate à la gueule. J’ai aussi grandi avec cette idée que j'étais obligé d'être une femme, dans un monde qui ne leur fait pas de place. Me rencontrer, c'était une libération incroyable. Et pourtant...
La peur, constamment. J'ai été insulté. J'ai été touché, sans mon consentement. J'ai été frappé. J'ai été lacéré par cette violence, pour qui je suis, pour qui j'aime. On croirait qu'en Belgique, ça va. Le mariage est autorisé, l'adoption aussi. J'ai pu changer mon prénom, ma mention de genre, faire une transition médicale. J'ai pu me créer un avenir que je n'imaginais pas quand j'avais 20 ans. J'ai un avenir, mais pour combien de temps encore ?
Durant mes études d'assistant social, on nous l'a appris : les droits sociaux ne sont jamais acquis, demain, tout pourrait changer. Demain, on peut donner le pouvoir à une autrice célèbre de changer une loi dans un pays pourtant bien ouvert à la diversité. Demain, on peut élire un président qui crache sur les femmes, les personnes LGBTQIA+, les personnes racisées... Demain, on peut élire un député qui va lacérer notre sécurité sociale et nous cracher dessus en même temps. Un député qui ose parler d'idéologie transgenre, alors que c'est lui, la menace pour tous·tes. Demain, l'extrême droite monte dans toute l'Europe, et à part elleux, personne ne gagne. Pas même toi, qui est un homme hétéro et blanc. Parce que même toi, tu seras un jour dans leur ligne de mire. Tu seras juste le dernier sur la liste. Alors je tiens bon. Je continue à dire qui je suis, car seuls la visibilité, l'amour de soi et des autres peuvent faire dérailler ce train de l'enfer. Je tiens pour moi, mes adelphes, nous. Pour pouvoir dire qu'on a trouvé le bout du tunnel, en espérant ne pas trop perdre de vie(s) en route.
Toi aussi, s'il-te-plaît, tiens bon.
Cailean, Charleroi
Tenir, c’est lire les commentaires sous un article sur les jeunes trans et sentir la nausée monter.
C’est recevoir une lettre de l’école qui “s’inquiète” du bien-être de ton enfant, alors que c’est justement lui qui rassure tout le monde.
C’est savoir que tout peut basculer en un décret, une loi, une majorité.
Je tiens parce que mon fils tient. Parce qu’il rit. Parce qu’il rêve. Et parce qu’un jour, je veux qu’il n’ait plus à remercier ses parents d’avoir cru en lui, comme si c’était une faveur.
Maxime, Liège
J’ai pas une histoire spectaculaire. J’ai pas été agressé. J’ai pas fui un pays en guerre. Et pourtant, je suis fatigué. Fatigué de lire entre les lignes. Fatigué de tendre l’oreille pour repérer les phrases qui vont me viser sans me nommer.
J’ai grandi en me disant que si je faisais “profil bas”, tout irait bien. Que les choses allaient dans le bon sens.
Et là, je me rends compte que ce “bon sens” est fragile. Que des gens en costard veulent légitimer le rejet, l’humiliation, l’effacement. Qu’on débatte encore de nos existences dans des talk-shows. Qu’on dise “vous êtes trop visibles” alors qu’on se planque toujours pour s’embrasser.
Je tiens en serrant les dents, mais je tiens aussi grâce à des choses minuscules. Une chanson entendue au marché. Un message d’un ancien camarade qui me dit “merci de m’avoir aidé à comprendre, à l’époque.”
J’ai pas de communauté militante autour de moi. J’ai pas d’espace “safe” physique. Mais j’ai des fragments. Des gens. Un groupe WhatsApp où on se raconte des conneries pour tenir debout. Une série qu’on regarde en même temps et dont on parle comme si c’était notre vie.
Ce que j’aimerais dire, c’est : si vous avez l’impression que vous êtes seul·e à douter, à avoir peur, à être en colère sans oser le dire… vous ne l’êtes pas.
On est beaucoup à tenir dans nos coins. Et je crois qu’il est temps qu’on se montre un peu plus. Pas pour se mettre en lumière, mais pour qu’on se voie. Juste ça : se voir.
Et se dire, sans bruit, mais franchement : je suis encore là.
Luis, Bruxelles
J’ai plus envie d’expliquer, je t’avoue. J’ai plus envie d’argumenter pourquoi je devrais avoir le droit d’exister tranquille.
Quand les élèves ricanent parce qu’ils m’ont trouvée sur Insta, quand des collègues me disent qu’il faut “éviter de politiser la salle des profs”… c’est ça, l’ambiance.
Et quand je lis les programmes électoraux, je vois noir sur blanc ce que les gens appellent encore “débats d’idées” : le droit de remettre en question notre humanité.
Je tiens parce que mes élèves queer me voient. Je tiens pour eux. Mais j’enrage, tous les jours.
Camille, Namur
Tenir, c’est sortir de chez moi en me demandant si aujourd’hui encore je vais rentrer entier.
Tenir, c’est entendre des élus parler de “dérives idéologiques LGBTQIA+” à la télé publique, dans un putain de débat électoral, et serrer les dents parce que si je réagis au taf, c’est moi qu’on traite de militant.
Ça me donne envie de hurler. Mais je hurle pas. Je fais mon taf. Je paie mes impôts. Je baisse les yeux dans la rue parfois, comme avant.
Ce que je veux dire à d’autres ? Qu’on n’est pas fous. Que cette violence n’est pas “dans nos têtes”. Que si vous êtes fatigué·es, si vous êtes en colère, c’est que vous voyez clair.
Mehdi, Mons