La Belgique s’enferme dans l’exclusion du don de sang des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes

Alors que la plupart des pays voisins et au-delà ont mis fin à l’exclusion du don de sang frappant les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH), la Belgique, sous la pression de la Croix-Rouge, rejette à nouveau toute perspective de mettre fin à cette discrimination. Et pour de mauvaises raisons.

Petit rappel : En Belgique, l’exclusion permanente des HSH a été la norme jusqu’en 2017. Sous la pression de la Cour de Justice de l’Union européenne, la Belgique adopte alors une exclusion de 12 mois. Elle passera à 4 mois le 1er juillet 2023. Le critère HSH est par contre supprimé en 2022 en ce qui concerne le don de plasma, suite à un recours en annulation porté par la Fédération Prisme devant la Cour Constitutionnelle. Mais il faut bien constater que les établissements de transfusion n’en font guère la promotion.

Depuis 2019, une concertation annuelle sur les critères d’exclusion en raison du comportement sexuel se tient en décembre. Le rapport est rendu public plusieurs mois plus tard. La dernière réunion de concertation s’est tenue le 4 décembre 2024. Son rapport est publié ici.

Ce rapport révèle que 285.000 belges donnent du sang. En 2023, le nombre total de dons s’est élevé à un peu plus de 620.000. Trois dons ont été détruits en raison de la détection du VIH dans ceux-ci. 2 émanaient de femmes, et 1 d’un homme ayant eu des relations sexuelles avec des hommes. Les donneurs refusés sont nombreux, plus de 56.000, dont près de 20.000 sur base du comportement sexuel. Les HSH sont peu concernés par ces refus car ils connaissent la législation et très majoritairement ne se portent pas candidats.

La Croix-Rouge flamande indique qu’elle enregistre 193 donneurs HSH respectant le critère des 4 mois d’abstinence, pour un total de 516 dons. Soit à peine 0,1% des donneurs. Cela démontre bien la réalité de l’exclusion. La Croix-Rouge francophone ne semble pas en mesure de produire ce type de statistiques. Le chiffre de donneurs de plasma HSH n’est pas communiqué ni au nord ni au sud du pays.

La Croix-Rouge flamande recommande de maintenir le critère de 4 mois, emportant l’opinion générale de la concertation qui conclut que « pour l’instant, un assouplissement des critères actuels ne semble pas recommandé ». Mais pour quelles raisons ? Ce qui est en cause, c’est le nombre de personnes vivant avec une infection par le VIH non diagnostiquée. En 2023, on estime ce nombre à 1.325 personnes, dont 417 HSH. Ce nombre est en diminution constante depuis 2011. Mais la Croix-Rouge est insensible à cette évolution positive. Elle oppose à cette réalité la récente augmentation des diagnostics de VIH dans notre pays. Elle estime également que le principe « indétectable = intransmissible », qui ne s’applique pas à la transfusion, induit une nouvelle incompréhension chez de potentiels donneurs HSH. Elle s’inquiète des perturbations que la PrEP peut provoquer sur la détection du VIH lors des tests. Ce fait est bien connu, les pays ayant levé l’exclusion des HSH maintiennent l’interdiction de don des personnes sous PrEP. Mais la Croix-Rouge craint que cela ne conduise certains à se porter candidats sans déclarer des comportements à risque, ce qui ne se vérifie pas dans les pays ayant levé l’interdiction.

Mais les raisons principales sont ailleurs. Dans tous les pays qui ont supprimé l’exclusion des HSH, la pratique s’est orientée vers l’évaluation individuelle des risques. Un questionnaire plus détaillé et une attention plus importante à l’entretien préalable au don avec un médecin. La Croix-Rouge reste opposée à ce changement de pratique car elle craint que cela n’indispose de nombreux donneurs (ce qui ne se vérifie pas au Royaume-Uni ni aux Pays-Bas). Mais surtout, elle fait aveux des conditions médiocres de collecte de sang en Belgique, qui ne peuvent garantir la confidentialité des entretiens, faute de locaux appropriés, ni de personnel suffisamment formé. Ces objections sont particulièrement inquiétantes puisqu’elles mettent en évidence que la Croix-Rouge ne respecte pas les normes de bonne pratique émises par le Conseil de l’Europe et rendues obligatoire par une directive européenne. Cela fait donc des années que la collecte de sang en Belgique n’atteint pas les standards européens. L’ouverture du don de sang au HSH semble donc conditionnée à un meilleur financement que réclame la Croix-Rouge au Ministre de la Santé. On est loin de considérations liées au droit à la santé qui seul justifiait aux yeux de la Cour de Justice de l’Union européenne une limitation au droit à la non-discrimination.

Thierry Delaval

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