Journée internationale du drag. Rencontre avec Chéri-e Chapstick !

Il y avait une sorte d’interdit car je suis né-e assignée femme et que du coup je ne me sentais pas légitime de faire du drag. Dans ma tête, je me disais que le seul drag que je pouvais faire en étant une assigné-e en tant que femme, c’était de faire du drag king sauf que je n’y voyais que la masculinité toxique.

Hello, Chéri-e ! Pourrais-tu te présenter brièvement pour nos lecteurs-rices ?

Du coup, moi, c’est Chéri·e Chapstick et j’ai 25 ans. Je suis non-binaire. Et mon type de drag, c’est du drag queer ou drag thing. Je ne le définis pas trop. Il y a autant du masculin que du féminin. On s’amuse quoi.

Depuis combien de temps tu fais du drag ?

La scène… depuis longtemps; mais l’art du drag, ça fait seulement un an que j’ai commencé. C’était pendant le premier confinement, on s’ennuyait avec un ami et voilà où ça m’a mené-e ! Se produire sur scène n’était plus possible, donc on a créé des personnages à ce moment-là.

C’était aussi une opportunité de travailler sur des plus petits numéros qui demandent beaucoup moins d’étapes ou beaucoup moins de travail.

Je ne fais pas ça seulement en ligne, je fais aussi des numéros pour des ami·e·s par exemple. Je travaille aussi avec un collectif d’artistes non-binaires.

L’idée avec le drag, c’était de rencontrer des gens comme moi, finalement.

Tu disais que tu étais déjà sur les planches depuis longtemps, t’as commencé à être sur scène vers quel âge du coup ?

Plus de 10 ans ! J’ai fait le conservatoire en arts dramatiques. J’en suis sorti-e il y a 4 ans maintenant. Depuis, je n’ai que des projets professionnels qui demandent énormément de préparation car il faut dire que ce milieu-là à Bruxelles est très codifié. J’avais justement envie d’en sortir, de rencontrer des gens, d’être mon propre chef quoi.

Pourquoi le drag, finalement ?

J’avais une sorte de fascination pour l’extravagance. Avec le drag, on s’autorise des choses qu’on ne ferait pas dans la vie de tous les jours.

J’avais aussi envie d’explorer un côté plus butch, plus masculin. Et en même temps, réunir ce côté-là, avec mon côté féminin afin de retrouver une personnalité - que je possède déjà hein-  que j’exhibe avec plein de paillettes.

Avant le confinement, tu n’avais jamais expérimenté le drag ?

Je faisais beaucoup de cosplay car j’adore jouer avec les costumes.

Je n’en fais plus trop car ça demande beaucoup de temps et beaucoup d’argent. Puis la communauté n’est pas super safe et assez sexiste. Il m’est déjà arrivé plein de fois d’avoir des propos ou des gestes déplacés pendant une convention juste parce que “le personnage que j’incarne est sexy”. Et puis, c’est un milieu qui prône la minceur pour les femmes* ou les personnes assignées en tant que femmes, donc dès que tu sors de ce truc, tu te fais lyncher, et ce n'est pas super agréable.

Après avec le drag, il y avait une sorte d’interdit car je suis né-e assignée femme et que du coup je ne me sentais pas légitime de faire du drag. Dans ma tête, je me disais que le seul drag que je pouvais faire en étant une assigné-e en tant que femme, c’était de faire du drag king sauf que je n’y voyais que la masculinité toxique. Ça me dérangeait beaucoup.

Puis le fait de voir des femmes* ou des personnes assignées en tant que femme faire du drag - autre que du drag king - ça m’a rassuré-e et donné-e aussi envie d’expérimenter ça. Je pense qu’il y avait du sexisme intériorisé dans mon crâne, et je suis content-e d’être passé au dessus de ça.

Et ton nom de drag - Chéri·e Chapstick -, comment l'as-tu trouvé ?

Après plein de brainstormings avec moi-même, j’avais envie d’un truc qui ne transpirait pas la masculinité ou la féminité, je voulais un truc entre les deux. C’est pour ça que j’ai choisi “chéri·e” en écriture inclusive. Et pour le reste, ça vient d’une chanson de Katy Perry - I kissed a Girl - lorsqu'elle dit the taste of her cherry chapstick.

Que représente le drag pour toi, du coup ?

Pour moi, c’est une façon de laisser s’exprimer une grosse créativité et de la partager directement avec le public. C’est le moyen le plus direct pour partager mon art, car je ne dois pas passer par 5 ans de dossiers pour obtenir des subventions.

C’est aussi un endroit où je peux exprimer des choses que je ne pourrais pas forcément partager avec le théâtre, par exemple.

Et un show de Chéri-e Chapstick, ça ressemble à quoi ?

Soit je fais du lipsync, soit je danse, soit je chante.

Du coup, ce sont beaucoup de chansons drôles mais toujours avec une touche de sujets sérieux avec des thématiques comme “ne pas se sentir femme” ou encore “les effets négatifs des réseaux sociaux”.

J’aime apporter une espèce de morale de l'histoire quand je présente un numéro. C’est sans doute liée à mon côté dramaturge. J’aime bien que les gens réfléchissent quand ils/elles voient un de mes shows.

Puis en termes de technique, j’aime bien varier les médias et utiliser plein de trucs comme la vidéo ou la projection d’image sur mon corps etc.

Est-ce que Chéri·e Chapstick est un personnage différent de qui tu es vraiment dans la vraie vie ou pas du tout ?

J’ai l’impression que Chéri·e Chapstick est une extension de moi. On a tous·tes des “moi sociaux” différents; et mon “moi social lié à la fête” ressemble beaucoup à Chéri·e. Après, je pousse juste un peu plus les curseurs des paillettes et du maquillage quand je l’incarne forcément.

Qu’est-ce qui te motive à continuer cet art ?

Ce qui pousse à continuer, c’est simplement le fait que c’est vital pour moi. Je ne parle pas juste du drag, mais de toutes les parties de mon “moi artistique”. C’est important pour moi de laisser sortir tout ça. Il faut que j’exprime ces choses qui sont en moi.

Et puis, les rencontres que je fais à travers le drag, ça me permet de prendre conscience que je ne suis pas seul-e et qu’il y a plein de gens comme moi. Ça me réchauffe juste le coeur!

On voit que le drag devient de plus en plus mainstream grâce à des émissions comme Rupaul’s Drag Race, comment tu vois ça ?

J’ai l’impression d’être un enfant de cette génération qui a grandi avec la popularité de Drag Race. Et c’est lié avec une exploration du genre qui est différente des anciennes personnalités drag, je pense. Les réseaux sociaux y sont aussi pour quelque chose là-dedans, car on visibilise beaucoup plus tout ça.

Puis le confinement a provoqué énormément de remises en questions chez les gens, et j’ai vu énormément de coming out à ce moment-là. Du coup, oui, nous sommes clairement une génération qui secoue les normes.

Comment vois-tu l’avenir du drag ?

J’aimerais qu’il soit encore plus visible pour les personnes qui ne sont pas “drag queens”. Du coup, que ce soit facile d’accès pour les personnes qui n’ont pas forcément envie de rentrer dans des cases.

Et aussi qu’il y ait une plus grande ouverture d’esprit sur ce qui n’est pas “mec cis gay qui fait du drag”. La scène drag est tellement variée et on devrait tous et toutes la découvrir.

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