Don de sang par les homosexuels : il faut justifier pour exclure !

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a des doutes sur l'exclusion à vie de la possibilité de donner son sang pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Sans aller aussi loin que son avocat général, elle intime aux tribunaux européens de vérifier si cette interdiction repose sur des données fiables et si d'autres méthodes moins discriminantes ne seraient pas tout aussi efficaces pour la sécurité transfusionnelle.

Le 17 juillet 2014, l'avocat général de la CJUE Paolo Mengozzi présentait des conclusions sans ambiguïté concernant l'exclusion du don de sang, de manière permanente, des hommes qui ont eu ou ont des rapports sexuels avec d'autres hommes. Pour Mengozzi, la seule circonstance, pour un homme, d'avoir eu ou d'avoir actuellement des rapports sexuels avec un homme n'est pas, en soi et à elle seule, constitutive d'un comportement sexuel exposant au risque élevé de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang.

Huit mois plus tard, la Cour a rendu un verdict nettement plus diplomatique à l'égard de la France, contre laquelle l'action était intentée. L'affaire commence il y a tout juste 6 ans, le 29 avril 2009. Un médecin de l’Établissement français du sang (EFS) avait refusé le don de sang que souhaitait faire un citoyen français, parce que celui-ci s'était déclaré homosexuel. En droit français, tout comme en Belgique, les centres de prélèvement doivent exclure du don de sang tout candidat masculin ayant eu des rapports sexuels avec un homme. Ce citoyen avait déposé plainte pour discrimination auprès du tribunal administratif de Strasbourg. En octobre 2013, ce tribunal saisit la CJUE d'une question préjudicielle concernant l'interprétation d'une directive européenne sur la sécurité du don de sang. C'est enfin ce 29 avril 2015 que la CJUE a rendu son arrêt sur la question. Dans ce type de procédure, la Cour européenne ne fait que donner des lignes directrices pour appliquer correctement le droit européen. Ce sera au tribunal de Strasbourg de juger définitivement l'affaire, en tenant compte des recommandations faites par la CJUE.

Voilà qui peut paraître un peu compliqué. Mais ce qu'il faut surtout retenir, c'est que cet arrêt de la Cour européenne va alimenter la jurisprudence pour l'ensemble des États membres de l'Union européenne, Belgique incluse bien évidemment. Ce jugement était donc fort attendu - partout en Europe surtout depuis que les conclusions de l'avocat général était connues - et particulièrement en France, directement visée par l'arrêt. Notre voisine république a d'ailleurs mis à profit le délai - anormalement long - entre les conclusions et l'arrêt, pour bouger sur cette question. La Ministre française de la Santé, Marisol Touraine a en effet multiplié ces derniers mois des déclarations selon lesquelles elle fera procéder à une révision des conditions d'exclusion. Du côté belge, la Ministre Maggie De Block a tenté un peu mollement d'entrer dans le mouvement. En janvier dernier, elle demandait au Conseil Supérieur de la Santé une nouvelle évaluation du risque (la dernière fois qu'il s'était prononcé, de manière négative, remontait à 2005). A peine deux semaines plus tard, ce dernier envoyait paître la Ministre, estimant qu'il n'y avait pas lieu de rendre un nouvel avis sur cette question. Oui, oui, en Belgique les médecins, un peu comme le patronat, n'ont pas beaucoup d'estime pour l'autorité publique, et peuvent le faire savoir sans ambages, ce que la Ministre précédente de la Santé Laurette Onkelinx avait déjà expérimenté lorsqu'elle se risqua en 2009 et 2010 à rassembler une table-ronde pour tenter de faire évoluer les choses, sans plus de succès.

Mais là où les politiques se sont régulièrement cassés les dents contre les résistances du monde médical, la justice pourrait bien cette fois-ci apporter un sérieux coup de main.

En effet, quoi qu’avec beaucoup de prudence, la CJUE n’envoie pas moins un signal fort. Selon son arrêt du 29 avril 2015, un certain nombres de conditions strictes doivent être respectées, au regard des droits fondamentaux, pour considérer que l'exclusion définitive des HSH du don de sang n'a pas de caractère discriminatoire.

La première de ces conditions, c'est que l'exclusion doit reposer sur des données fiables et pertinentes. Or la Cour ne manque pas de relever que ce sont les infections récentes qui présentent un risque de non-détection lors des tests de dépistage. Ceci parce qu'entre une infection éventuelle et la possibilité de la dépister il existe une période de 22 jours tout au plus, appelée fenêtre silencieuse. La Cour émet ainsi de manière indirecte un sérieux doute sur le bien fondé de l'exclusion permanente.

Des données fiables, c'est précisément ce qui fait défaut en Belgique. Par exemple, le mode de transmission du vih est inconnu pour plus de 25% des diagnostics de séropositivité. Un fameux trou dans les statistiques qui perdure depuis des années. De plus, l'administration sanitaire belge, pour établir la proportion d'homosexuels porteurs du virus, considère que seulement 3% de la population est homosexuelle, sans jamais avoir pu démontrer la pertinence de ce pourcentage. Et pourtant, la situation est très différente en France et en Belgique. La France estime que la population HSH a 200 fois plus de risques d'être porteur du vih que la population hétérosexuelle. Pour la Belgique, si les homosexuels représentent 3% de la population, sur base des chiffres communiqués à l'Europe pour 2013, le risque est 37 fois plus élevé. Mais si on considérait, comme par exemple aux États-Unis, que la population HSH représente 6,5% de la population masculine totale, alors le risque tombe à une proportion de 16 fois plus élevée. Cela reste beaucoup, mais on est fort loin des 200 fois plus annoncés par la France.

La seconde condition est le respect de la proportionnalité. Plus simplement dit, la Cour dit qu'on ne tue pas une mouche avec un bazooka. Il faut donc s'assurer qu'il n'existe pas de techniques plus efficaces de détection que celles utilisées actuellement, sans entrainer un coût supplémentaire disproportionné. Elle suggère ainsi la mise en quarantaine du sang sur la durée de la fenêtre silencieuse, avant de le tester au vih. A défaut, il faut étudier s'il n'existe pas de méthodes moins contraignantes que l'exclusion à vie du groupe des HSH. En clair, elle ouvre la voie à la révision du questionnaire soumis aux candidats donneurs pour mieux cibler le comportement à risque plutôt qu'un groupe dans sa totalité, ainsi que la réduction de la durée d'exclusion, comme c'est déjà le cas dans plusieurs pays européens. Dix des 28 pays de l'Union européenne sont en effet passés d'une exclusion permanente à des contre-indications temporaires, généralement de 12 mois. En Italie, Espagne et Pologne, les contre-indications temporaires sont du même ordre pour les comportements à risque hétéro ou homosexuels (entre 4 et 6 mois).

Tout indique que la France se dirige vers cette voie, quoi qu'on ne sache pas encore quels seront les périodes et conditions précises. Mais au moins cela bouge dans le bon sens. Suffisamment pour influencer la Belgique ? La balle est dans le camp de Maggie De Block.

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